Alors que l’on va aborder 2023, quel sujet sera le plus préoccupant pour les marchés? Le risque de récession?
Une récession va vraisemblablement se produire. Les indicateurs de sentiment des entreprises le signalent. Mais les marchés financiers ne l’ont pas pris en compte. Si l’on observe les anticipations de bénéfices des entreprises, elles sont beaucoup trop élevées. Pour l’instant, le consensus table sur une croissance des bénéfices de 5% en 2023. Typiquement, lors d’une récession, ces derniers se contractent de 10 à 20%. Il faut se méfier de cet écart entre les attentes et la réalité.
Quelles seront les parties du monde qui échapperont à la récession?
Les pays émergents. La Chine, en particulier, lorsqu’elle aura relancé sa croissance. On a vu en octobre qu’elle a commencé à prendre des mesures budgétaires pour stimuler la demande. L’affaiblissement de la monnaie, depuis l’été, a aussi permis de maintenir les exportations. Ces effets, associés à la réouverture post-covid, seront puissants.
Qu’en est-il des autres pays émergents?
Nous sommes optimistes en ce qui concerne l’économie brésilienne. Comme c’est un important fournisseur de matières premières à la Chine, il profitera du retour de la croissance dans ce pays. En outre, ils ont été proactifs dans la lutte contre l’inflation. La seule incertitude est l’installation d’un nouveau gouvernement, cela peut toujours créer quelques défis.
L’Inde, qui profite des troubles en Chine, s’en sort aussi bien. Elle reçoit des investissements d’entreprises qui ne veulent pas mettre tous leurs œufs dans le même panier et veulent diversifier les pays où elles produisent. L’Inde bénéficie aussi des importants investissements réalisés dans son infrastructure. Sa difficulté, ce sont les prix de l’énergie et sa gestion de nouvelles hausses potentielles.
En 2023, l’inflation sera-t-elle toujours un sujet de préoccupation?
La discussion va se déplacer de l’inflation, qui va atteindre son pic puis décliner, vers la croissance et sa durabilité. Il existe un sujet dont on n’a pas suffisamment parlé: la hausse de la dette gouvernementale. Pendant des années, celle-ci ne constituait pas un problème puisque les taux étaient à zéro, voire négatifs. Mais cela va changer et devenir délicat dès 2024. Ce sera un sujet pour les marchés dès la seconde partie de 2023 et pas seulement en Europe. Certes, l’Italie est un cas évident. Pour rappel, lorsque la crise de l’euro a éclaté en 2010, sa dette publique dépassait déjà 100% du PIB et les taux d’intérêt à dix ans s’élevaient à 5%. Aujourd’hui, sa dette a bondi à 150% et les taux frisent à nouveau les 5%. En France aussi, les finances publiques se détériorent. Quant aux Etats-Unis, le Congressional Budget Office prédit que d’ici à la fin de la décennie, la charge d’intérêt sera la principale dépense du budget fédéral américain.
Pour la gestion d’actifs, 2022 a été particulièrement difficile avec toutes les classes d’actifs malmenées. Peut-on s’attendre à une année 2023 moins mouvementée?
2023 devrait être une meilleure année pour certaines classes d’actifs. Mais les investisseurs doivent rester prudents. A notre avis, les actions n’ont fait qu’une partie de leur correction. Lorsque les marchés réaliseront le risque de récession, il y aura une révision des perspectives bénéficiaires et une autre phase d’ajustement. Mais voyons le côté positif, les investisseurs sont finalement rémunérés pour le risque sur le marché obligataire, pour la première fois depuis des années. C’est donc le moment de s’intéresser à l’obligataire dans un segment de duration plus longue, de meilleure qualité.
Sans les programmes d’assouplissement quantitatif des banques centrales, ce marché est-il redevenu plus compliqué?
Sans le soutien des banques centrales, dont on savait qu’elles intervenaient à partir de certains niveaux, il y a davantage de risques dans les marchés. Les investisseurs devront en tenir compte. Mais cela créera aussi un terrain de chasse pour les gérants actifs qui trouveront des opportunités et contrôleront les risques. Les conditions sont réunies pour que les hedge funds fassent leur retour.
Les actions n’ont donc pas touché le fond, mais certains secteurs tireront quand même leur épingle du jeu?
Ces dernières années, on pouvait investir uniquement sur les indices et bien s’en sortir, parce qu’avec les interventions des banques centrales, tout montait en même temps. Maintenant, la situation est très différente. La sélection des actions et la gestion active seront à nouveau très intéressantes, à l’image des années 1970, lors du choc pétrolier et de l’inflation qui s’est ensuivi. De 1973 à 1980, on constate que le S & P 500 a stagné et seulement trois secteurs ont progressé, dont l’énergie, alors que tous les autres étaient dans le rouge. Cette dispersion a bénéficié aux gérants actifs au contraire des investisseurs passifs. De la même façon, nous tablons sur une importante dispersion en 2023. Sans inflation et avec des taux négatifs, tout le monde pouvait emprunter et dépenser, que ce soit les ménages, les entreprises et les gouvernements. C’est fini. Dans un environnement où l’inflation est élevée et où les taux sont positifs, tous les acteurs économiques seront forcés de faire des choix inconfortables. Comme dans les années 1970, on s’attend à ce que beaucoup optent pour des dépenses visant à sécuriser leur approvisionnement en énergie – tant traditionnelle que renouvelable – et à augmenter leur efficience énergétique – tant dans les foyers que dans les usines. In fine, ces dépenses aideront à réduire les coûts mais s’inscriront au détriment de la consommation plus large.
L’économie européenne risque de souffrir davantage en 2023, y a-t-il néanmoins des opportunités d’investissement?
Oui, en particulier parce que les entreprises européennes sont bien positionnées dans les secteurs qui bénéficieront des cycles d’investissement à venir, à savoir ceux de l’énergie, de l’industrie et des matériaux. En effet, l’Europe dispose de fleurons de la production d’énergie mondiale de même que d’acteurs de poids dans les renouvelables. Par ailleurs, nombre d’entreprises européennes actives dans les matériaux ont aujourd’hui des bilans sains et distribuent d’importants dividendes.
L’année 2023 ne sera-t-elle pas celle du rebond de la tech?
La tech va continuer d’être un vecteur d’innovation et de croissance pour l’économie mondiale. Toutefois, à l’opposé de 2008, la technologie est omniprésente et ainsi, dans divers segments, il sera plus difficile de générer la même croissance que celle de la décennie passée. Certains secteurs deviendront aussi plus cycliques, évoluant davantage comme le reste de l’économie du fait de la domination de grands acteurs. Les entreprises continueront à investir dans le cloud et dans leur infrastructure informatique mais ces dépenses entreront de plus en plus en concurrence avec d’autres investissements de moyen terme comme la sécurité et l’efficience énergétique.
Qu’en sera-t-il de la Suisse?
La Suisse évitera la récession en 2023. Elle a fait un bon travail pour limiter l’inflation. Mais n’étant pas isolée, sa croissance va aussi ralentir. Pour la première fois depuis la crise de l’euro, la Banque nationale suisse (BNS) va diverger de la politique de la BCE avec une hausse de taux plus agressive pour combattre l’inflation. Le franc va s’apprécier, ce qui rend les investissements en Suisse intéressants. Ils le sont aussi parce qu’elle abrite des entreprises de certains secteurs qui devraient mieux performer, comme la pharma ou de plus petites entreprises actives dans la chaîne de valeur de l’énergie et de l’efficience énergétique.
La finance durable est-elle toujours un sujet pour vos clients?
Ces deux dernières années, la finance durable est passée d’un enjeu social à un enjeu de sécurité. D’abord dans l’énergie, mais je pense que les métaux et l’alimentation feront partie de cette tendance également. Au fur et à mesure que des enjeux, tels que la protection de la biodiversité, deviendront le centre des préoccupations, les entreprises seront de plus en plus vigilantes sur la provenance des matériaux utilisés.
Qu’est-ce que cela signifie pour les investisseurs?
Avec la finance durable qui a fait son entrée au sein des conseils d’administration, les investisseurs sont plus à même d’identifier les risques et les opportunités, à l’image de l’énergie en 2022. Les pays et entreprises fortement dépendants des sources d’énergie non soutenables ont été les plus affectés par la crise alors que ceux qui ont fait le choix de sécuriser leurs approvisionnements et de miser sur l’énergie renouvelable ont bénéficié de cette situation. Ces tendances vont se développer sur toute la chaîne de production d’énergie et elles vont devenir de plus en plus intéressantes en termes de calculs rendements/risques pour les investisseurs.