Le Temps (03.08.2020) - Sur la décennie écoulée, les hedge funds, pénalisés par la faiblesse persistante des taux d’intérêt et l’effacement de la volatilité, ont peiné à offrir des rendements satisfaisants.
Certaines stratégies ont cependant mieux su tirer leur épingle du jeu, mais le secteur s’est globalement montré en dessous des attentes. Dans le domaine des actions, il s’est en effet avéré délicat, voire impossible, pour les gérants de hedge funds de rivaliser avec un marché haussier parmi les plus spectaculaires de l’histoire boursière. Dans un contexte de faible expansion mondiale et d’inflation atone, cet interminable ‘rally’ a vu les investisseurs se ruer sur la moindre poche de croissance, et les indices de référence passer sous la domination des GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) pour enchaîner les records. Du côté obligataire, l’abondance des liquidités fournies par les banques centrales a garanti l’accès au crédit à toutes les entreprises, y compris celles aux profils de dette les moins reluisants. Difficile donc d’identifier les sociétés véritablement attrayantes.
Cette page semble désormais tournée. Pour amortir le séisme économique dû à la pandémie, un recours massif à l’arme budgétaire a pris le relais des politiques monétaires ultra-accommodantes. Cette volonté de relance tous azimuts laisse anticiper un regain d’inflation qui devrait entraîner une remontée, même ténue, des taux obligataires en territoire positif. Sur les marchés actions, ce changement de régime marque le retour de la dispersion, avec des mouvements de cours reflétant davantage les attentes en matière de progression des bénéfices, comme en atteste déjà la surperformance des valeurs de croissance dites «de qualité». La tendance est également perceptible sur les marchés obligataires, où la crise économique impacte plus sévèrement la solvabilité des entreprises et des secteurs les moins résilients.
Si on ajoute à cela l’incertitude liée à la durée et à la gravité de cette crise, toutes les conditions sont réunies pour voir réémerger sur les marchés des opportunités propices au déploiement des stratégies actives. La proportion de gérants actifs surperformant leurs indices de référence a, selon Morningstar, d’ores et déjà doublé depuis début janvier par rapport à la moyenne de ces dernières années.
Pour générer des rendements dans cet environnement, il ne suffira plus de compter sur le seul bêta – la sensibilité du portefeuille au risque du marché – puisque cette source de performance s’amenuise. Il faudra aussi être capable d’exploiter les nouveaux gisements d’opportunités afin d’en extraire l’alpha, le rendement absolu, qui est la raison d’être de la gestion alternative.
Signe des temps, en Suisse, terre de sophistication financière qui s’est ouverte dès les années 1960 aux pionniers de l’alternatif, cela fait déjà plusieurs mois que les acteurs institutionnels manifestent un regain d’intérêt pour les solutions d’investissement centrées sur les hedge funds. Si ces professionnels n’ont jamais perdu de vue cette industrie, les investisseurs individuels, eux, auraient de bonnes raisons d’envisager avec circonspection leur retour vers l’alternatif compte tenu des modestes performances récemment enregistrées. Cette réserve doit toutefois être surmontée: non seulement une ère prometteuse s’ouvre aux hedge funds, mais le secteur a aussi gagné en maturité et en stabilité. Ainsi, dans l’ombre de la vingtaine de fonds globaux pesant plus de 20 milliards de dollars, des centaines de fonds de taille moyenne ont continué à prospérer. Ils affichent des historiques de performance suffisamment longs pour guider les choix des investisseurs et disposent de ressources garantissant leur efficacité opérationnelle, sans que leurs stratégies soient bridées par la taille de leurs encours. Le flux des créations de structures plus instables de type start-up, qui se lançaient avec moins de 100 millions de dollars, s’est en revanche tari sous l’effet de la hausse des coûts réglementaires et de conformité. Enfin, l’entrée en vigueur des normes UCITS a permis de gagner en confort de placement en offrant à l’investisseur la possibilité de s’exposer aux hedge funds sous un format plus liquide que par le passé.
Reste que pour jouer un rôle pertinent en portefeuille, les solutions alternatives doivent être envisagées comme des placements de moyen terme. Aussi longtemps que les banques centrales généreront l’essentiel des flux de liquidité, de nouvelles périodes de déconnexion entre marchés et réalités économiques sont susceptibles d’advenir et d’attiser la volatilité des rendements. Pour se prémunir contre de tels soubresauts et permettre aux instruments alternatifs de remplir pleinement leur mission en termes de génération de surperformance, de diversification et d’atténuation des risques, un horizon de placement de trois ans au minimum doit être considéré. A moins qu’une évolution dans la structure ou la stratégie du hedge fund ne justifie entretemps une réévaluation de la position. C’est là tout l’enjeu du travail de suivi mené par les allocateurs et les concepteurs de solutions alternatives.
Nicolas Faller
Co-CEO Asset Management