Les marchés privés profitent, en cette fin d’année, d’une demande croissante de la part des investisseurs. Chaque catégorie dispose toutefois de ses propres caractéristiques. Brice Thionnet, Global Head Private Markets auprès d’UBP et Hippolyte Abriol, Senior Investment Manager – Private Equity & Mandates, d’UBP, répondent aux questions d’Allnews.

Ceci est un extrait de l'interview publiée dans Allnews, disponible ici.

Pourquoi s’intéresser aux marchés privés actuellement?

Hippolyte Abriol: Les marchés privés offrent aujourd’hui une diversification et des opportunités de rendement difficilement accessibles via les marchés publics, en particulier dans le contexte économique actuel. Depuis la crise financière mondiale, la liquidité des marchés publics a fortement diminué, et une part croissante de l’univers d’investissement se trouve aujourd’hui dans le non-coté. Aux Etats-Unis, par exemple, le nombre d’entreprises cotées a été divisé par deux depuis le pic de 1996, tandis que 96% des entreprises européennes générant plus de 100 millions d’euros de revenus restent privées. Ce transfert progressif de valeur vers le non-coté est une tendance structurelle qui ne fait que s’accentuer.

Par ailleurs, les portefeuilles privés voient croître la part de la gestion passive, ce qui réduit souvent la diversification: les dix plus grandes entreprises du S&P 500 représentent aujourd’hui 37% de l’indice. Face à cette concentration, les marchés privés apportent une source de diversification indispensable, permettant de s'exposer à des secteurs moins accessibles via le coté et d’optimiser le profil rendement/risque du portefeuille.

De plus, dans un environnement où la corrélation entre actions et obligations est plus élevée que par le passé, les marchés privés offrent des rendements faiblement corrélés avec les actifs traditionnels. Cette caractéristique aide à réduire le risque global du portefeuille et à atteindre des objectifs de rendement à long terme. Nous pensons que les investisseurs privés* augmenteront progressivement leur allocation aux marchés privés pour s’approcher des niveaux déjà pratiqués par les family offices et les «endowments» américains, qui dédient depuis longtemps environ 30% de leur portefeuille à cette classe d’actifs.

Est-ce que les investisseurs privés* peuvent améliorer leur profil de rendement/risque sur cette classe d’actifs habituellement réservée aux institutionnels?

HA: Historiquement, les marchés privés, et en particulier le private equity, offrent des rendements supérieurs aux actifs liquides tout en présentant une volatilité moindre. Cette caractéristique s'explique en partie par l’absence de fluctuations de marché quotidiennes, ce qui permet aux investisseurs de se concentrer sur la performance fondamentale des entreprises en portefeuille, sans les distractions des variations journalières de valorisation.

Le private equity surperforme également les marchés actions publics grâce à une gestion proactive, où les fonds jouent un rôle central dans l’optimisation des opérations et la mise en œuvre de stratégies de croissance, telles que le développement de nouveaux marchés, les fusions-acquisitions et la réorganisation des coûts. Ces leviers de création de valeur permettent de générer des rendements là où les entreprises cotées, souvent contraintes par des exigences de performance trimestrielle, n’ont pas la même liberté stratégique.

Aux Etats-Unis, par exemple, le nombre d’entreprises cotées a été divisé par deux depuis le pic de 1996.

Pour les investisseurs privés*, les véhicules «evergreen» sont devenus un point d’accès privilégié au private equity. Ils permettent un déploiement immédiat des capitaux, et un réinvestissement continu, tout en offrant une liquidité relative, ce qui convient aux investisseurs recherchant une exposition flexible et durable. Cependant, pour ceux capables de supporter une plus grande part d’illiquidité dans leur portefeuille et souhaitant optimiser leur rendement et leur diversification, nous préconisons une combinaison de fonds «evergreen» et de fonds à durée de vie limitée. Ces fonds fermés permettent d’accéder à des stratégies ciblées et spécifiques, où le potentiel de performance absolue est souvent bien supérieur.

Cette capacité du private equity à générer de la valeur durablement, combinée à la résilience de l’investissement à long terme, permet aux investisseurs privés* de profiter de rendements stables et surperformants, tout en améliorant le profil rendement/risque de leurs portefeuilles.

La performance des fonds de private equity est très disparate. Comment sélectionnez-vous les bons fonds sachant qu’on s’y engage pour le long terme?

HA: Nous privilégions une approche sélective orientée vers les fonds «mid-market», car ils ciblent des entreprises de taille plus modeste, où le potentiel de création de valeur est généralement plus important. Contrairement aux grands fonds, qui achètent souvent des sociétés auprès d’autres fonds de private equity, les fonds «mid-market» acquièrent fréquemment des entreprises détenues par des familles ou des fondateurs. Cette particularité offre une marge de transformation plus importante et permet aux gérants d’avoir un impact réel sur le développement stratégique et opérationnel des entreprises.

Dans le contexte actuel, s’appuyer uniquement sur l’effet de levier ne suffit plus pour générer des rendements solides. Nous mettons donc l’accent sur la capacité des fonds à activer différents leviers de croissance dans leurs entreprises en portefeuille. Certains fonds, par exemple, apportent un soutien essentiel au recrutement et au renforcement des équipes dirigeantes, en veillant à attirer des talents clés. D’autres accompagnent les entreprises dans leur transformation digitale, en intégrant l’intelligence artificielle et en optimisant les processus pour améliorer leur efficacité opérationnelle. Enfin, des fonds avec une expertise en fusions-acquisitions contribuent activement à la croissance externe, permettant ainsi aux entreprises d’accélérer leur développement.

En private equity, nous favorisons les gérants ‘mid-market’ qui ont une stratégie de création de valeur bien définie.

Notre sélection repose sur une analyse approfondie des stratégies de chaque fonds, de leur alignement avec les intérêts des investisseurs et de leur capacité à traverser des cycles économiques. Nous analysons également les performances passées en tenant compte des périodes de ralentissement économique, car cette résilience est cruciale pour un engagement à long terme. En nous associant à des fonds capables de s’adapter aux défis contemporains et d’opérer avec agilité, nous construisons des portefeuilles résilients, orientés vers une performance durable et solide.

Quelles sont vos convictions sur le private equity, la dette privée et les infrastructures?

Brice Thionnet: En private equity, nous favorisons les gérants «mid-market» qui ont une stratégie de création de valeur bien définie. Nous observons des signes de reprise dans les activités de fusions-acquisitions avec la baisse des taux, ce qui stimule le financement des opérations de LBO («leveraged buyout») et devrait bénéficier au private equity en renforçant les opportunités sorties, et par conséquent les distributions aux investisseurs en quête de liquidité depuis 2022. Cette approche axée sur le «mid-market» nous permet d'exploiter le potentiel de transformation dans des entreprises de taille moyenne, souvent moins valorisées et avec une marge de progression significative.

Pour la dette privée, le «direct lending» reste un pilier attractif pour les investisseurs en quête de rendement stable, et nous complétons cette approche avec des stratégies hybrides combinant dette et equity pour plus de flexibilité. Les segments comme le «specialty finance» et l’«asset-based finance» continuent de se démarquer, profitant du désengagement des banques et de la demande croissante pour des solutions de financement spécialisées. Ces stratégies permettent de diversifier les sources de rendement tout en répondant à des besoins de financement non couverts par les institutions traditionnelles.

En infrastructure, nous misons sur les avantages uniques de cette classe d’actifs, en particulier dans les domaines de la transition énergétique et de la digitalisation. Les projets d’infrastructure génèrent des revenus contractuels à long terme, souvent indexés sur l’inflation, offrant une protection contre la hausse des prix. Avec des flux de revenus stables et peu corrélés aux marchés publics, l’infrastructure apporte ainsi stabilité et résilience aux portefeuilles, tout en répondant à la demande croissante pour des investissements en actifs réels.

Enfin, le marché secondaire continue de fournir des opportunités intéressantes dans ces trois classes d’actifs, permettant aux investisseurs d'accéder à des portefeuilles matures avec des perspectives de rendement immédiates et solides.

*Investisseurs privés avec statut « professionnel » ou équivalent