Agefi (02.2020) - Les véhicules électriques ont une contribution importante à apporter à un avenir «zéro carbone» et méritent donc d’être inclus dans une stratégie d’investissement d’impact positif.
Cependant, il semble y avoir une certaine confusion et des idées fausses sur quelques caractéristiques de base des batteries des véhicules électriques qui peuvent amener les investisseurs ainsi que les consommateurs à prendre des décisions d’investissement ou d’achat aux conséquences inattendues.
La première chose à retenir est que les batteries des véhicules électriques ne sont pas exemptes d’émissions. Sur le site web de Tesla, la section «Carbon Impact» affiche une belle représentation visuelle, avec un nombre qui change en temps réel («3,550,634.88 tons», au dernier décompte consulté), l’objectif étant de montrer le total des émissions de CO2 que les véhicules Tesla ont permis d’éviter. Les petits caractères tout en bas de cet écran indiquent que les chiffres relatifs aux émissions de CO2 évitées correspondent aux réductions des émissions d’échappement.
La raison pour laquelle cette information peut être trompeuse est que les émissions d’un véhicule électrique ne se limitent pas aux émissions d’échappement, qui sont, bien sûr, nulles. Les émissions d’un véhicule électrique sur son cycle de vie se mesurent en effet à l’aune du total provenant de la fabrication de la batterie (un processus très énergivore) et de la charge. Selon le pays dans lequel le véhicule électrique est fabriqué et chargé, la répartition peut être de 50-50. Un véhicule électrique fabriqué et utilisé en Pologne, dont le réseau est très polluant, émettra ainsi beaucoup plus de CO2 que le même véhicule en Suède, dont le réseau est très propre.
Il est étonnamment difficile d’obtenir des informations précises sur les émissions liées à la fabrication des batteries. Une comparaison de onze études universitaires différentes sur le sujet révèle une fourchette d’émissions de fabrication allant de 30 à 494 kg de CO2e/kWh. Abstraction faite des valeurs extrêmes, cette fourchette pourrait être réduite à environ 56-106 kg de CO2e/kWh, ce sur quoi convergent la plupart des études.
Pourquoi existe-t-il une si large fourchette d’estimations des émissions de fabrication ? Car, en plus du pays de production, de nombreux facteurs ont une incidence sur les émissions de fabrication estimées, comme les hypothèses sur le choix des produits chimiques utilisés dans le processus de production, le modèle utilisé pour estimer les émissions, la conception de l’emballage, ou encore la proximité géographique de la source d’approvisionnement en matières premières. Ainsi, l’extraction de cobalt en République démocratique du Congo et son transport sur près de 20’000 km par voie terrestre ou maritime vers une usine en Chine ne sont pas exempts d’émissions, et cela doit être pris en compte dans le calcul des émissions sur le cycle de vie. Cette question est au cœur de nombreuses discussions concernant les émissions des véhicules à moteur à combustion interne et des véhicules électriques. Si l’on prend le bas de la fourchette de 30-100 kg de CO2e/kWh comme référence pour les émissions de fabrication, les véhicules électriques sont plus propres que les véhicules à moteur à combustion interne. Lorsque les estimations se rapprochent et dépassent la barre des 100 kg de CO2e/kWh, il devient de plus en plus difficile de soutenir cette affirmation.
En ce qui concerne les émissions liées à la charge des batteries, en plus du pays de charge, le déterminant le plus important est la taille du véhicule et de la batterie. Un véhicule avec une batterie de 40 kWh (environ 1’500 kg) émettra moins de CO2 qu’un véhicule avec une batterie de 100 kWh (environ 2’100 kg). En effet, le plus lourd est moins efficient que le plus léger.
Ainsi, même si les petits véhicules électriques avec des batteries d’environ 40 kWh sont plus propres que tous les véhicules à moteur à combustion interne, les gros véhicules électriques avec de grandes batteries d’environ 100 kWh, ou plus, pourraient être plus polluants que les véhicules à moteur à combustion interne plus petits et plus efficients, selon le pays.
Autre variable à inclure pour une analyse plus complète – le statut du recyclage des batteries. Plus le nombre de batteries disponibles pour le recyclage augmentera, moins les fabricants auront recours aux nouvelles matières premières extraites. Le recyclage engendrera lui-même des émissions, mais celles-ci devraient être nettement inférieures à celles produites par l’extraction et le transport de nouvelles matières premières.
Enfin, s’agissant de la comparaison des émissions des véhicules à moteur à combustion interne et des véhicules électriques, le temps joue en faveur des véhicules électriques. Le moteur à combustion interne est une technologie qui existe depuis la révolution industrielle, et la plupart des gains faciles en termes d’efficacité ont été réalisés. Les gains d’efficacité projetés pour les moteurs à combustion interne sont nettement inférieurs à ceux projetés pour les batteries des véhicules électriques, et ce même sans tenir compte de certaines des technologies révolutionnaires en préparation qui pourraient considérablement améliorer la performance et l’efficacité des batteries. Par exemple, selon Bloomberg New Energy Finance, les émissions des véhicules à moteur à combustion interne en Chine chuteront de 1,8% par an sur la période 2018-2040, contre 4,3% pour les émissions des véhicules électriques. Outre les gains d’efficacité sur les batteries, le réseau de charge devient plus propre. Aujourd’hui, environ 38% de la production mondiale d’électricité peut être qualifiée de «zéro carbone». Ce chiffre devrait atteindre 63% d’ici à 2040, ce qui réduira les émissions des véhicules électriques sur leur cycle de vie.
Autrement dit, dans un avenir où les véhicules électriques contribueront à un monde «zéro carbone», les comparaisons entre les émissions de ces véhicules et celles des véhicules à moteur à combustion interne se montreront progressivement davantage en faveur des véhicules électriques. Cela dit, pendant cette phase de transition, il est important de garder à l’esprit que les véhicules électriques et les batteries ne sont pas tous identiques. Par conséquent, pour choisir les entreprises de l’écosystème qui minimisent les émissions de carbone et optimisent l’impact positif, une stratégie d’investissement d’impact doit prendre en compte divers facteurs, tels que les sources d’énergie pour la fabrication et la charge, la proximité des matières premières et des fournisseurs, la taille des véhicules et des batteries, les produits chimiques utilisés, l’emballage, la disponibilité du recyclage, ou encore l’efficacité des processus de production. Cette approche pourrait également guider les investisseurs vers de meilleures performances financières, car ces entreprises sont davantage susceptibles d’être les grandes gagnantes de l’industrie à long terme.
Eli Koen
Portfolio Manager Emerging Equities