Le Temps - (27.03.2023) - En cette période de succession de crises, nous pouvons nous interroger sur l’effet stabilisateur de la gestion de fortune, notamment au travers de l’intégration de critères de durabilité. D’ailleurs, l’horizon-temps de l’investissement durable est-il seulement compatible avec les bouleversements auxquels nous sommes confrontés ?
À court terme, force est de constater que l’année 2022 n’a guère été favorable aux sociétés vertes avec un biais «croissance», dans un contexte d’envolée des valeurs pétrolières, et au vu des annonces de relance des programmes militaires et de réarmement dans de nombreux pays. D’un autre côté, les enjeux de durabilité se sont forgé une place de choix dans l’agenda des gouvernements ces dernières années (Objectifs de développement durable des Nations Unies, cycles de négociation sur le climat, biodiversité) et constituent une priorité absolue des politiques économiques et budgétaires à moyen et long terme.
En effet, l’accès à des ressources énergétiques fossiles concentrées et abondantes – conjugué à l’accélération des progrès technologiques – a facilité l’exploitation, sans restriction, de ces ressources, qui avaient mis des millions d’années à se constituer. Cela a conduit à l’internationalisation des échanges, à une réduction considérable de la pauvreté extrême à l’échelle mondiale, et à une forte augmentation du niveau de vie des citoyens dans les pays occidentaux, puis, plus récemment, les pays émergents. Néanmoins, l’exploitation de certaines ressources dépasse de loin les capacités de régénération ou les limites écologiques de celles-ci, sans compter les nombreuses externalités négatives induites (perte de biodiversité ou pollutions biochimiques).
Si nous commençons à peine à ressentir les conséquences des déséquilibres environnementaux et sociaux engendrés par notre modèle économique, leurs effets s’annoncent exponentiels à moyen et long terme, et des mesures d’urgence doivent être prises pour que le monde puisse enfin s’engager sur la voie de la transition vers un autre modèle, plus durable.
Il est donc primordial de replacer les événements de court terme dans un contexte de conséquences à long terme. De même, cette transition requiert des centaines de milliards de dollars d’investissement que les Etats ne parviendront pas, seuls, à financer sans l’appel aux financements privés. Le rôle du secteur de la gestion de fortune s’avère donc crucial.
En effet, les banques privées ont un rôle essentiel à jouer en orientant l’épargne et les investissements des clients vers les acteurs de cette transition, et en contribuant ainsi au financement de ces derniers. Pour cela, il s’agira de respecter les fondamentaux de tout investissement – apprécier les risques et sélectionner les secteurs et les entreprises susceptibles de devenir les leaders de demain, mais aussi prendre en compte l’impact environnemental et sociétal de leurs activités à plus long terme.
Cela signifie-t-il qu’une stratégie d’investissement durable doit se limiter à une approche de «buy & hold» ? Au contraire. Les gestionnaires doivent aussi satisfaire à l’exigence de performance financière à court terme attendue de leurs clients et, à ce titre, être en mesure de réaliser les arbitrages nécessaires dans le domaine de l’investissement durable également.
Pour ce faire, ils doivent intégrer dans leurs décisions d’investissement – en plus des informations financières usuelles – des analyses approfondies de positionnement des entreprises en faveur d’une transition durable aux contours complexes, et souvent encore mal définis. Ils doivent aussi être capables d’évaluer dans quelle mesure une entreprise est engagée en ce sens.
À cet égard, il convient d’éviter une approche dogmatique consistant à exclure un secteur d’activité dans son ensemble, et de privilégier plutôt le pragmatisme et les faits. Il s’agit par exemple d’analyser le développement de nouvelles technologies, la modification de nombreux processus de fabrication industriels, et la maîtrise des chaînes d’approvisionnement qui concentrent une grande part des risques environnementaux et sociaux dans une économie mondialisée (notamment les activités d’extraction ou de manufacture souvent localisées dans des pays aux législations peu regardantes sur les aspects ESG).
À plus ou moins longue échéance, les entreprises qui tergiversent en termes de transition ou échouent à se transformer peineront à trouver des financements. Elles seront confrontées à une pression accrue de la part des régulateurs et verront probablement les parties prenantes, dont leurs clients, leur tourner le dos.
La gestion de fortune et la finance durable présentent donc un ADN commun, et leurs destins et desseins sont intimement liés: la transmission du patrimoine – financier, ou environnemental et social – aux nouvelles générations, ainsi que la construction du socle de la prospérité future.
Gageons que, dans un horizon relativement proche, les investisseurs auront les mêmes exigences au regard de leur reporting d’impact que vis-à-vis de leur reporting financier pour mesurer concrètement leur contribution à la transition vers la durabilité, et ainsi redonner du sens et du temps à leurs placements.
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