Le Temps (04.10.2021) - Depuis que les marchés privés ont commencé à prendre leur essor dans les années 1990, jamais ils n’avaient été portés par des vents aussi favorables. Ils recouvrent une large partie du périmètre de la gestion alternative, à savoir toutes les classes d’actifs non traditionnelles.
Qu’est la taxonomie européenne ? Qu’exigent les articles 8 et 9 du règlement SFDR ? Quelle est la définition des scopes d’émission ? Comment évalue-t-on un crédit à impact ? La terminologie s’enrichit - ESG, ISR, ODD, PRI, engagement, exclusions, greenwashing, greenwishing, green bonds, blue bonds… - quand peu la comprennent et moins encore la maitrisent.
Alors que la loi sur les services financiers exigera bientôt des opérateurs suisses qu’ils expliquent à leur clientèle les risques en matière de durabilité, ceux-ci ont rarement l’expertise suffisante pour traiter ce sujet. Ainsi, parmi les objectifs prioritaires qu’il s’est fixés, le Comité Exécutif de l’Union Bancaire Privée (UBP) a décidé qu’une bonne compréhension en interne de la durabilité et de ses enjeux était un prérequis avant d’entamer la discussion ou de communiquer à ce propos (Un engagement pris également par l’Association de Banques Suisses de Gestion). C’est à Bernard Schuster, Group Head of Communications de l’UBP, qu’a été confiée la réalisation de cet objectif. Entretien.
Pourquoi une formation de tous les collaborateurs de la Banque en matière de durabilité ?
Nous voulions être certains que tout le monde comprenne, que tous soient sensibilisés – en tant qu’individus et en tant qu’employés – au sens de ce changement d’approche et aux engagements de la Banque vis-à-vis des tiers. La finance durable est une nouvelle dimension de notre métier. Il a fallu successivement intégrer les aspects réglementaires (cross-border, MIFID ou LsFIN), la dimension fiscale avec l’échange automatique d’informations et dorénavant, il faut intégrer la dimension responsable en tenant compte de considérations sociales et environnementales.
Pour les équipes de front office, expliquer l’engagement que la Banque a pris d’intermédier le capital vers des investissements responsables, est absolument essentiel. Notre travail est de convaincre le client d’investir dans des entreprises qui ont un comportement responsable ou un impact positif sur le futur. Or, il faut être convaincu pour convaincre.
A qui s’adresse le programme de formation et comment est-il conçu ?
Le programme est conçu pour l’ensemble des collaborateurs de la Banque, quel que soit leur rôle. Il est composé de huit modules de formation de 45 minutes chacun, disponibles online, en français et en anglais. Le format est innovant, interactif accompagné de vidéos et de questionnaires. Il couvre les définitions, les normes, la réglementation existante et à venir, l’action de l’UBP et son offre aux investisseurs. Cela peut sembler beaucoup mais correspond globalement à une unique journée de formation. Que chacun peut suivre à sa guise et selon son emploi du temps.
Ce parcours a-t-il été imposé aux collaborateurs ?
Ce fut la grande question : obligatoire ou non ? Nous avons finalement décidé de ne pas le rendre obligatoire mais avons insisté sur son importance pour acquérir l’expertise nécessaire à l’exercice de leurs activités ces prochaines années, quel que soit leur fonction.
Et ?
Le retour a été très positif : 80% des employés ont suivi le parcours et 68% d’entre eux ont complété les 8 modules. Le programme est d’ailleurs toujours à disposition pour qui le désire. Sur 1800 collaborateurs, 1200 ont fini la formation et 300 sont en cours d’achèvement. Ils savent que c’est important pour la Banque, pour leur métier, pour le secteur. Il est vrai que l’avoir mis à disposition pendant la période du Covid en a facilité l’attractivité…
Vous avez choisi de faire construire un programme sur mesure. Pourquoi ?
Nous avons regardé ce qui existait mais rien ne nous paraissait correspondre à notre manière d’aborder le sujet. Nous voulions une formation adaptée à notre vision, notre façon d’en parler : positive et non alarmiste. C’est ainsi que nous avons développé avec Blossom un programme adapté à notre personnalité. Naviguer dans la jungle des acronymes, des normes et des réglementations est un défi posé à tous les établissements mais le faire de manière interactive et en lien avec nos objectifs et nos enjeux nous était essentiel. Suivre ce programme fut un exercice valorisant pour beaucoup d’employés qui ignoraient ce que l’UBP fait dans ce domaine. Beaucoup sous-estimaient les efforts consentis par la Banque.
Combien de temps vous a-t-il fallu pour le mettre au point ?
Entre définition des objectifs, scripts, contenus et production, environ 3 mois.
Ce programme fait-il partie intégrante de la formation continue ?
Oui, la formation a été ajoutée, après validation par le SAQ, au parcours de re-certification CWMA dédiée aux responsables clientèle.
Quelles seront les prochaines étapes ?
Il nous reste encore du travail, car comprendre les enjeux et l’écosystème est une chose, comment amener le sujet, trouver les arguments pour convaincre, ou encore répondre aux objections en est une autre.
Selon le dernier rapport de SSF, près de 70% des flux de la finance durable proviennent encore des institutionnels et non des clients privés. Certains de ces derniers sont encore loin d’être convaincus par l’idée d’intégrer des aspects de durabilité dans la gestion de leur patrimoine et l’appétit n’est pas aussi important qu’on l’entend parfois. L’attrait pour certains secteurs dits « bruns » (par opposition aux verts) subsiste et nous devons être en mesure de pouvoir leur expliquer pourquoi les entreprises leader de demain seront celles qui ont un impact positif ou celles ayant entamé un programme de transformation. Ceci prend du temps, sans compter que la notion de durabilité n’est pas la même pour tout le monde et qu’il faut adapter le discours en fonction de la sensibilité de l’interlocuteur et de son expérience.
Juste pour recadrer le contexte, selon une étude publiée par Standard Chartered, 94% des investisseurs privés appréhendent d’investir durablement par manque de compréhension et plus de la moitié admettent ne pas comprendre la terminologie. Il y a du travail !
Les plus jeunes n’y sont-ils pas sensibles ?
La « next generation » est sans aucun doute plus réceptive, mais nous constatons toutefois qu’elle reste encore assez traditionnelle… pour ce qui a trait à ses portefeuilles. Au-delà de l’opportunité d’investissement, les plus jeunes attachent aussi de l’importance à l’impact social et aux valeurs véhiculées par les entreprises, et par leur banque…
Le mot de la fin ?
La durabilité est une thématique en constante évolution et de développer une expertise nécessite un investissement important, pour la Banque et pour chaque collaborateur. Le parcours que nous avons mis en place n’est donc que le point de départ d’un processus de formation continue.
Bernard Schuster
Group Head of Communications
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Jusqu’à présent limité principalement aux investisseurs institutionnels, l’intérêt pour cette classe d’actifs a soudainement pris de l’ampleur parmi les clients privés.
Les institutionnels tirent en effet parti du potentiel de rémunération et de diversification des marchés privés depuis longtemps.
Entre autres avantages également, le fait que cette portion illiquide des portefeuilles échappe généralement à l’obligation de valoriser les investissements ‘au jour le jour’, et donc de les inscrire en moins-value en cas de revers passager en fin d’année. Pour la clientèle privée, l’investissement dans l’immobilier ou les infrastructures notamment représente le plus souvent une alternative à la faiblesse des rendements obligataires, mais aussi une réelle protection contre l’incertitude boursière apparue dès le début de la crise sanitaire, ainsi que contre l’inflation.
Financer la transition énergétique
Néanmoins, force est de constater que la part des marchés privés dans les allocations d’actifs en Suisse reste relativement restreinte. En effet, en termes de placements alternatifs, les institutions de prévoyance suisses sont limitées par la réglementation. Toutefois, un récent changement réglementaire, induit par le besoin de financement privé pour la transition énergétique, remédie en partie à cette limitation. Ainsi, à la suite des dernières modifications de l’Ordonnance sur la prévoyance professionnelle (OPP2), les investissements en infrastructures peuvent désormais s’effectuer sous forme de placements directs, et les sociétés de prévoyance voient donc remonter à 10% leur plafond pour l’allocation en infrastructures. S’entendent parmi les secteurs concernés les infrastructures de l’énergie, de la mobilité, de l’approvisionnement et de la santé. L’objectif ici est de permettre aux caisses de pension et autres sociétés de prévoyance d’investir davantage dans des projets écologiquement durables réalisés en Suisse1 ou à l’étranger.
Croissance dans les infrastructures
Ainsi, si un tiers des capitaux sont aujourd’hui dirigés vers le ‘private equity’, c’est du côté des infrastructures que la croissance devrait être la plus forte. Dans sa dernière étude européenne, Preqin pointe une hausse de 30% des encours dans les infrastructures en 2020, liée aux dépenses considérables dans le contexte de la relance post-covid, et de la transition vers un monde durable et socialement équitable (le G20 a chiffré à USD 3’700 milliards les besoins globaux en infrastructures).
C’est dire si les marchés privés devraient jouer un rôle majeur, et il est donc fort à parier que cette évolution réglementaire leur permettra de bénéficier durablement de l’attention des investisseurs.
Nicolas Faller
Co-CEO Asset Management
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