Rares sont les professions à avoir dû se renouveler aussi profondément que celle de banquier privé sous l’effet de l’environnement extérieur. Certes, le conseil et la confiance sont, et resteront, la quintessence du métier, mais le relationship manager (RM) d’aujourd’hui n’a plus grand-chose à voir avec celui d’avant la crise de 2008.
Le principal déclencheur de cette transformation est bien sûr la remise à plat des cadres réglementaires et fiscaux par les régulateurs nationaux, les administrations fiscales et les acteurs supranationaux. Le temps paraît loin où il était courant pour un banquier privé de prospecter dans différents pays sans se soucier des frontières, et d’avoir en portefeuille plusieurs centaines de clients. En moins de dix ans, de nouveaux règlements et lois se sont imposés (EMIR, MiFID II, FATCA, EAI, LSFin par exemple), ce qui a rendu les activités transfrontalières particulièrement complexes. L’éventail des règles qu’un RM doit connaître sur le bout des doigts limite de facto son rayon d’action. En effet, les interactions avec la clientèle ainsi que le type de conseil ou de produit proposé dépendent du profil financier du client et de son pays d’origine. Résultat: les services Compliance sont devenus les meilleurs alliés des RM, qui ont par ailleurs dû recentrer leurs activités sur des zones géographiques précises et sur un nombre réduit de clients.
Gestion plus technique
Du côté de l’environnement financier, la persistance de taux d’intérêt bas, voire négatifs, ainsi que le regain de volatilité sur les marchés ont aussi modifié considérablement les exigences des clients. Ces derniers non seulement attendent que de nouvelles alternatives de rendement leur soient proposées, mais ils demandent également de la transparence et une gestion des risques rigoureuse. Les banques ont donc innové et diversifié leur offre de produits avec des solutions d’investissement plus complexes nécessitant des compétences techniques accrues. Le RM a progressivement dû se transformer en «chef d’orchestre» capable d’appréhender les besoins de sa clientèle, aussi spécifiques soient-ils, et de l’orienter vers les spécialistes appropriés au sein de la banque. Ce tableau ne serait pas complet sans mentionner la montée en puissance de l’investissement responsable. Relativement anecdotique il y a quelques années, l’appétit des clients pour des solutions alliant rendement financier et placement durable ne cesse de se confirmer et d’encourager les banques à repenser leurs offres ainsi que leur processus de gestion. Pour le RM, c’est un nouvel univers d’investissement avec lequel il faut se familiariser.
Enfin, dernier levier à avoir fait basculer la profession dans une nouvelle ère: la révolution digitale, avec notamment l’apparition d’une concurrence incarnée par les «néobanques» et l’avènement d’une nouvelle génération de clients rompus aux technologies numériques. Au début des années 2000, le banquier privé était le seul point de contact du client, et encore fallait-il l’appeler au bureau car, pour des raisons de sécurité et de confidentialité, l’usage du téléphone portable n’était pas vraiment développé.
Changement de décor: en 2020, quel RM peut encore exercer ses fonctions sans des outils de communication à distance ? Des outils dont la pandémie a d’ailleurs consacré le rôle indispensable. Les établissements les plus en pointe ont enrichi leur e-banking de modules permettant aux RM d’échanger avec leurs clients par vidéoconférence, ou de transmettre des instructions en toute sécurité. La technologie permet même désormais l’authentification des nouveaux clients au moyen d’un smartphone. Entre la digitalisation des process, la dématérialisation des documents et l’accès on line aux informations, le digital a révolutionné le schéma relationnel entre le RM et le client.
Ces évolutions sont d’autant plus irréversibles qu’elles coïncident avec les attentes de la clientèle: dans un récent rapport sur l’avenir de la banque privée en Europe, McKinsey note que 71% des clients se déclarent favorables à des interactions «multicanal» avec leur banque privée, 25% allant jusqu’à souhaiter un parcours entièrement digitalisé, en ayant toutefois la possibilité de recourir, si besoin, à une assistance humaine.
Investir dans les personnes
De telles mutations appelaient nécessairement un accompagnement par les équipes RH des banques privées. Et ces dernières se sont véritablement engagées en ce sens: elles considèrent la formation et la certification de leurs RM comme un investissement essentiel pour garantir le maintien des connaissances et des savoir-faire au plus haut niveau. Depuis plusieurs années, elles y consacrent d’importants moyens, comme la pratique du Continual Professional Development (CPD), déjà bien implantée dans le monde anglo-saxon. Pour le RM aussi, ces différents programmes représentent un investissement personnel substantiel, en temps et en énergie. Cependant, c’est à ce prix qu’est la ‘métamorphose’ du banquier privé d’autrefois en un RM doté de multiples compétences, toutes indispensables – digitales, financières, juridiques, fiscales –, au-delà de ses aptitudes relationnelles.
La place financière suisse dans son ensemble a d’ailleurs profité de ces évolutions. En s’adaptant à ce nouveau paradigme, elle a préservé sa réputation d’excellence et su relever les défis pour se maintenir en bonne place des classements internationaux, à la fois en termes de taille et de compétitivité. C’est bien la preuve que le banquier privé suisse a réussi le pari de sa réinvention.