Nous devrions assister à un changement de régime sur les marchés obligataires à l’heure où les banques centrales préparent le terrain pour de potentielles baisses de taux après le plus fort cycle de resserrement observé depuis les années 1970.
Si la trajectoire et la vitesse exactes de l'assouplissement monétaire restent encore incertaines, il semble toutefois clair que l’approche ‘hawkish’ ait déjà atteint son point culminant, et que les banques centrales comme la Fed se concentrent à nouveau sur leur double mandat – l'inflation et l'emploi. Il s’agit là d’une évolution importante car cela suggère que les banques centrales cherchent désormais à étendre le cycle au travers de réductions progressives des taux au fil du temps, plutôt que d'y mettre fin par des relèvements de taux agressifs, ce qui avait été largement redouté durant la majeure partie de ces deux dernières années. En outre, ces développements sont intervenus à un moment où la croissance économique demeure résiliente, en particulier aux Etats-Unis, et tend à éloigner les craintes de récession.
S’agissant des valorisations, il apparaît également que nous assistons à une situation exceptionnelle sur le marché obligataire, où nous pouvons actuellement trouver des rendements particulièrement attractifs du côté des segments à revenu supérieur, tels que les obligations à haut rendement («high yield») et la dette AT1 (Additional Tier 1). Ces rendements sont en effet supérieurs aux performances annuelles moyennes historiques affichées par les actions globales. Nous avons ainsi commencé l'année sur un biais positif vis-à-vis du crédit, avec une préférence pour ces segments à revenu supérieur compte tenu du contexte de croissance robuste. Si la volatilité des taux et l'incertitude autour du taux terminal de la Fed ont parfois pesé sur les spreads de crédit en 2023, ces facteurs devraient être moins gênants en 2024. Par ailleurs, la communication et les données récentes en provenance des banques centrales suggèrent également que ce cycle de réduction des taux sera probablement de nature très graduelle. Les investisseurs devraient donc considérer leur allocation en titres obligataires comme ayant un caractère davantage stratégique, dans la mesure où les rendements et la thèse favorable en termes de «carry» (portage) pourraient rester en place plus longtemps encore.
En ce qui concerne les segments spécifiques du marché, notons que le «high yield», au travers des indices CDS, devrait compenser les investisseurs de façon plus qu'adéquate pour le risque encouru. En effet, à des niveaux de rendement si élevés, le pouvoir du portage tend à devenir très important. De plus, des rendements légèrement inférieurs à 10% en dollars US permettent aussi de se prémunir contre tout élargissement des spreads, comme cela a été clairement observé en 2023 notamment. Il est intéressant de souligner également que les indices CDS se traitent aujourd'hui à des prix relativement bas par rapport au marché équivalent des obligations «high yield». Autrement dit, il semble que les investisseurs soient actuellement correctement «récompensés» en se positionnant sur les produits les plus liquides. Qui plus est, le contexte de faibles taux de défaut qui prévaut aujourd’hui devrait se poursuivre en 2024 au vu de la vigueur de la croissance, mais aussi des risques de refinancement limités à court terme, les entreprises ayant déjà pu commencer à honorer leurs dettes.
Par ailleurs, le segment noté BB du marché du crédit apparaît présenter un bon profil risque/rendement par rapport notamment au segment BBB. Il affiche en effet une performance annualisée historique de 2% supérieure à ce dernier, tout en présentant un profil de volatilité très semblable. En outre, les taux de défaut qui caractérisent ces deux catégories de notation ont eu tendance à se montrer très faibles et similaires, le risque de défaut augmentant réellement à mesure que l'on descend dans le spectre des notations. Enfin, le marché AT1 semble toujours constituer une source de valeur attrayante, tant en termes de valorisations que du point de vue des fondamentaux, dans la mesure où le secteur continue de retrouver des couleurs après la volatilité intervenue en mars de l'année dernière. De manière positive, notons que les annonces favorables aux investisseurs se sont poursuivies pour cette classe d'actifs, tout d'abord en provenance des régulateurs, mais aussi de la part des émetteurs. Ceux-ci ont systématiquement rappelé leurs obligations durant ces derniers trimestres, même si le marché continue d’évaluer que seulement 60% des obligations seront rappelées. Cela vient donc illustrer le fait que les valorisations sont toujours attractives. Les bénéfices des banques continuent également de se révéler impressionnants et démontrent à quel point ce secteur devrait rester une allocation majeure en portefeuille dans un environnement d'inflation et de taux plus élevés.
De manière générale, en matière de construction de portefeuille, les investisseurs devraient privilégier une approche de type «barbell». Celle-ci se caractérise non seulement par une allocation aux segments à revenus supérieurs tels que mentionnés plus haut, mais également à des obligations à taux variable de court terme pour la partie la plus «conservatrice» du portefeuille. A titre d’exemple, un portefeuille en obligations à taux variable «investment-grade» de court terme et de haute qualité affiche aujourd’hui un rendement nettement plus élevé en comparaison d’un portefeuille en obligations «investment-grade» traditionnelles, ces dernières présentant une duration plus importante sur les taux d'intérêt, et ce en raison de l'inversion de la courbe de rendement. Par ailleurs, malgré la fin du cycle de hausse des taux d'intérêt des banques centrales, il semble toujours approprié d’opter pour une allocation de ce type sur ce segment étant donné que le cycle de baisse des taux à venir pourrait s’avérer beaucoup plus progressif. Cette approche devrait donc permettre aux investisseurs de continuer à tirer parti des rendements élevés offerts par ces obligations à taux variable.