Le Temps (26.01.2020) - A l’ère de la globalisation, de l’ultra-mobilité et de la diversification internationale des patrimoines, les familles fortunées ayant un profil international sont légion, ce qui peut impliquer des risques multi-juridictionnels sur les successions non planifiées.
Il n’est pas rare que les membres d’une même famille ne vivent pas dans la même juridiction, ou soient détenteurs de nationalités différentes, et/ou que le patrimoine familial soit localisé dans plusieurs pays. Généralement, les membres de la famille détiennent des investissements ou des intérêts commerciaux à l’extérieur de leur pays d’origine, des résidences secondaires ou encore des biens immobiliers à l’étranger.
Au sein de l’Union européenne, ces situations ont longtemps été synonymes de casse-tête juridique pour les familles au moment de régler la succession de l’un des leurs. Chaque pays appliquant ses lois selon ses propres critères – domicile, résidence, nationalité, emplacement des biens immobiliers et mobiliers –, cela entraînait des conflits de compétences parfois insolubles, le morcellement des successions pouvant même conduire à une double, voire à de multiples impositions dans certains cas.
La situation s’est considérablement simplifiée depuis le 17 août 2015, avec l’entrée en vigueur du Règlement européen sur les successions (ci-après ESR, « EU Succession Regulation »), qui a permis d’harmoniser les dispositifs successoraux des Etats membres de l’Union européenne, à l’exception du Royaume-Uni, de l'Irlande et du Danemark. L’ESR n’a toutefois pas d’incidence sur les systèmes juridiques internes et la fiscalité applicable des Etats membres, qui restent souverains s’agissant du montant des impôts successoraux.
L’avantage de l’ESR est de trancher deux questions cruciales : la juridiction compétente pour régler une succession et la loi successorale qui lui est applicable. Le seul et unique critère déterminant devient ainsi celui de la dernière résidence habituelle du de cujus. Identifiée sur cette base, la loi applicable régit désormais la succession dans son ensemble, en tenant compte de tout le patrimoine du défunt, quelle que soit sa typologie, et où qu’il soit situé, dans un Etat membre aux termes de l’ESR ou dans un Etat tiers.
La détermination de ce dernier lieu de résidence habituelle, qui n’est pas défini stricto sensu dans le Règlement, résulte d’une évaluation de l’endroit qui concentrait l’essentiel des centres d’intérêt, des activités et des relations sociales du défunt dans les années précédant son décès et au moment de sa disparition. Il s’agit ainsi de préciser les liens étroits et concordants entretenus avec le dernier pays membre de l’Union européenne concerné.
De fait, l’ESR institue une professio juris qui permet de rédiger un testament portant sur toute la succession, soumis à la loi du pays dont la personne possède la nationalité plutôt qu’à celle de son lieu de résidence habituelle.
Aussi positive que soit cette simplification, le principe d’unité des successions internationales reste circonscrit aux vingt-cinq pays européens signataires du Règlement. D’après la Chambre des notaires parisiens, 450’000 familles sont concernées chaque année par une succession internationale dans l’Union européenne, soit une succession sur dix.
Or, dès lors que la succession présente des rattachements avec un Etats tiers ou qu’il existe des doutes quant au dernier lieu de résidence habituelle du défunt, les conflits de compétence et de droit applicable sont susceptibles d’apparaître et d’engendrer de l’incertitude, voire des conséquences indésirables pour les héritiers d’un testateur qui n’aurait pas planifié sa succession avec toutes les précautions qui s’imposent.
Les avocats et les notaires jouent donc un rôle clé pour permettre aux familles d’anticiper les écueils juridiques d’une succession internationale. D’ailleurs, c’est précisément pour parer à la multiplication des conflits successoraux entre la Suisse et ses voisins européens que le Conseil fédéral a mis en consultation en 2018 une révision de la Loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) reprenant les éléments essentiels de l’ESR. Une bonne nouvelle pour les familles de citoyens suisses vivant dans ces vingt-cinq pays, ainsi que pour les ressortissants de ces pays domiciliés en Suisse.
Nicolas von Wartburg
Co-Head of Wealth Planning