Sphere (07.12.2020) - Rarement, depuis l’avènement de la finance globalisée, les marchés d’actions n’avaient été confrontés à un tel manque de visibilité. La menace sanitaire, omniprésente, et la profusion de situations d’instabilité géopolitique ont rendu très aléatoire l’exercice de la prévision économique et financière à court ou moyen terme.
Dans un tel environnement, le réflexe de tout investisseur devrait être de ménager, au sein de son portefeuille global, une large place aux actions des sociétés les plus aptes à résister face à l’incertitude et à continuer de croître malgré les soubresauts conjoncturels.
Encore faut-il être en mesure d’identifier de tels titres. Pour certains, le faible prix d’une action suffit à motiver la décision d’investissement. Ce n’est toutefois pas le meilleur critère: ils sont en effet légion les exemples d’actions dont le cours anémique reflète avant tout les médiocres performances de la société émettrice et son incapacité à redresser la barre. Ces dernières années, la recherche de rendement a eu tendance à imposer l’argument du dividende. Cependant, la générosité d’une société vis-à-vis de ses actionnaires n’offre aucune assurance quant à son aptitude à croître sur le long terme.
Il existe un indicateur financier permettant, précisément, d’évaluer cette capacité à créer durablement de la valeur: le CFROI (Cash Flow Return On Investment), le rendement interne du capital investi. Pour qu’une société soit effectivement à même de générer de la valeur, son retour sur investissement liquide doit excéder son coût du capital. Et plus l’écart entre ces deux variables est significatif, plus cette capacité est importante.
Sur ce terrain, les actions suisses ont fait leur preuve. Depuis 1988, l’indice SPI, qui regroupe l’intégralité des valeurs cotées à la bourse de Zurich, a continuellement surperformé l’indice global MSCI World (en franc suisse), tout en se révélant moins volatil. Etabli sur de nombreux cycles, cet écart positif traduit la capacité supérieure des sociétés helvétiques à créer de la valeur, laquelle est également corroborée par un CFROI robuste et stable dans le temps.
Les Etats-Unis, aussi, affichent un solide CFROI. La bonne tenue de l’indicateur doit beaucoup à la forte exposition du marché aux technologies innovantes, un secteur leader en matière de création de valeur. L’Europe, pour sa part, fait figure de mauvais élève, mais il n’en a pas toujours été ainsi: au début des années 2000, les marchés du Vieux Continent présentaient des CFROI attractifs, même s’ils avaient tendance à s’effriter durant les points bas du cycle. Depuis la crise financière de 2008, l’atonie conjoncturelle dans laquelle le continent est plongé semble avoir neutralisé cette dynamique.
En Suisse, si la croissance économique est restée faible, la résilience de certains grands secteurs composant les indices, tels que la pharmacie, les services de santé en général ou les biens de consommation courante, permet au marché de continuer de dégager des CFROI élevés.
Cette résilience est le fruit des orientations stratégiques prises par les sociétés suisses, à commencer par l’ouverture à l’international. Comment une entreprise originaire d’un pays exigu et peuplé de 8,5 millions d’habitants pourrait-elle en effet donner corps à ses ambitions de développement, si ce n’est en s’ouvrant au reste du monde pour conquérir de nouveaux marchés ou délocaliser sa production ?
Depuis longtemps déjà, le consensus politique et social favorable à une approche économique libérale a cautionné la production à l’étranger. Cette stratégie s’est imposée avec d’autant plus d’évidence qu’elle permet, au moins en partie, d’amortir l’appréciation quasi ininterrompue du franc depuis plus d’une vingtaine d’années. Autre bénéfice de la forte internationalisation des sociétés nationales, la diversification géographique de leurs revenus, qui est nettement plus poussée qu’ailleurs dans le monde. De fait, le chiffre d’affaires des entreprises suisses est réalisé à plus de 90% à l’étranger, réparti de façon équilibrée à travers toutes les zones géographiques, et entre marchés développés et marchés émergents.
La vigueur persistante du franc a également pour effet de stimuler un esprit d’adaptation permanente au sein des entreprises suisses, qui les encourage à miser sur l’innovation et à se positionner sur des créneaux dont les barrières à l’entrée élevées leur garantissent l’exercice d’un important pricing power. Les montants alloués à la recherche et au développement témoignent de cette quête constante de valeur ajoutée. En 2017, les sociétés ont réalisé plus des deux tiers des dépenses en R&D du pays (CHF 22,6 milliards). Proportionnellement à leur chiffre d’affaires, les sociétés suisses précèdent leurs homologues japonaises et américaines et se placent loin devant les entreprises européennes. Et cet effort ne se cantonne pas au seul secteur de la pharma. Dans les biens de consommation courante, par exemple, la société Nestlé consacre à la R&D une part de son chiffre d’affaires nettement supérieure à celle de ses concurrentes étrangères.
Dans le même ordre d’idée, la cherté de la main-d’œuvre favorise une recherche constante d’efficience dans les processus de production. Loin d’être perçus comme une source potentielle de crispation, la maîtrise des coûts et les gains de productivité sont vécus, en Suisse, comme une discipline, et l’automatisation comme une nécessité.
Toutes ces caractéristiques confèrent au «Swiss Made» un prestige sans égal aux yeux des investisseurs et des consommateurs du monde entier. Une considération renforcée encore par la priorité que les équipes managériales accordent au respect des standards les plus exigeants sur le plan environnemental, sociétal et de la gouvernance.
Ce sont aussi ces spécificités qui sous-tendent la surperformance structurelle des actions cotées à Zurich. Composé de valeurs de qualité et capables de générer de la valeur sur le long terme, le marché suisse s’avère particulièrement résilient, et se distingue par un potentiel de performance ajustée du risque parmi les plus élevés. Dans les temps incertains que nous traversons, ces atouts méritent d’être pris en compte par les investisseurs. Cela semble d’autant plus justifié que les niveaux de valorisation du marché suisse apparaissent aujourd’hui raisonnables, et ce relativement au marché américain, au marché mondial, et même en comparaison historique
Eleanor Taylor Jolidon
Co-Head Swiss & Global Equity