Option Finance (26.03.2021) – Né dans le capital investissement, l’impact investing ou la recherche d’impact positif sur l’environnement, le social ou le sociétal à travers l’investissement, se diffuse à l’ensemble des classes d’actifs.
Cet article se base sur une discussion dans le cadre d’une table ronde organisée par Option Finance avec plusieurs experts, dont Mathieu Nègre, Portfolio Manager Emerging Market Impact Equities à l'UBP.
L’impact investing rencontre un succès croissant; quelles sont les grandes tendances dans ce domaine ?
Sur les émergents, nous enregistrons les mêmes taux de croissance que dans les autres classes d’actifs, même si ceux-ci sont difficiles à estimer car il faut bien faire la différence entre l’ESG, l’impact et les fonds thématiques. Toutes catégories confondues, la croissance est supérieure à 100% ces dernières années et, selon la définition de l’impact retenue, sa part peut aller de quelques pour cent à 25% des actifs, en considérant que les fonds thématiques sont des fonds à impact. Si nous nous concentrons sur notre activité, la demande est très forte. La génération précédente de produits orientés vers la durabilité relevait de l’ESG. Cependant, l’intégration de ces critères n’a pas véritablement abouti à une gamme séparée de fonds dans les actifs des marchés émergents, à la différence des fonds investis sur les marchés développés, pour lesquels les gammes sont véritablement segmentées entre les fonds ESG et les fonds non ESG. Cela est nettement moins le cas sur les marchés émergents. L’analyse ESG a surtout été utilisée dans ces classes d’actifs pour être intégrée au processus existant. Il y a longtemps que les gérants centrés sur les pays émergents évoquent l’importance de la qualité de la gouvernance des entreprises dans lesquelles ils investissent. Mais depuis deux ans, nous constatons un véritable changement, qui s’est accéléré en 2020. Il repose sur l’apparition de produits distincts qui revendiquent la thématique ESG ou la thématique de l’impact. Dans le cas des produits à impact, notamment ceux proposés par l’UBP, nous considérons n’avoir qu’une dizaine de concurrents. Il s’agit de fonds qui se sont lancés ces deux dernières années. Ils se situent tous au début de leur développement, mais ils devraient croître rapidement car les investisseurs sont désormais prêts à investir dans des produits distincts, ce qui constitue une véritable rupture de tendance. Ce changement montre l’importance de disposer d’une définition rigoureuse de l’impact. La plupart des gérants proposent des produits ouverts et des mandats avec des objectifs clairs et qui se différencient les uns des autres.
A l’UBP, nous avons fait le choix de construire une méthodologie interne avec le premier produit à impact, qui peut ensuite s’appliquer à tous les autres produits à impact, quelle que soit la région ou la classe d’actifs.
En ce qui concerne les flux, ils se dirigent principalement vers les actions des marchés émergents et vers les actions asiatiques, mais ils sont originaires des marchés développés; les flux en provenance d’investisseurs locaux sont extrêmement limités. J’aimerais enfin pointer un décalage entre le capital investissement et les actifs cotés. La notion d’impact provient des marchés privés. D’un point de vue historique, si l’on regarde la part des émergents, ces derniers ont capté un volume très important des flux, soit près de la moitié des actifs globaux en capital investissement. Depuis longtemps, il existe des fonds de capital investissement qui investissent, notamment en Afrique, avec une optique sociale ou en faveur des énergies renouvelables. Il y a donc des raisons d’espérer que les pays émergents représenteront une part significative des investissements à impact sur le segment coté.
Les fonds à impact intègrent-ils tous systématiquement des critères ESG ?
Il est vrai qu’il existe des sociétés qui deviennent «à impact» par hasard, notamment dans le secteur de l’économie d’énergie, dans l’industrie… Certaines entreprises proposent des solutions très importantes pour la transition énergétique, mais elles n’y sont pas forcément arrivées par conviction, grâce à une prise de conscience des enjeux du réchauffement climatique, mais par opportunité ou par un cheminement qui leur a fait prendre conscience qu’elles disposaient d’une expertise à valoriser. De ce fait, elles ne possèdent pas toutes systématiquement une politique ESG, même si elles interviennent dans le domaine de la transition énergétique. C’est pour ces sociétés que l’engagement peut jouer un rôle important.
Les méthodologies ne doivent-elles pas aussi être adaptées à la classe d’actifs ?
En tant que spécialiste des marchés émergents, nous intervenons par définition sur des pays très différents. Les investisseurs nous posent donc régulièrement la question de savoir s’il est possible de noter de la même façon une société au Chili, en Afrique du Sud ou encore en Corée, et avec la même rigueur que pour les marchés développés. La réponse à cette question est à la fois positive et négative. Sur le principe d’abord, nous employons la même méthodologie que pour les pays développés: nous utilisons les mêmes critères, mais la note attribuée dépend toujours du contexte.
Effectivement, il existe un certain nombre d’indicateurs considérés comme potentiellement utiles: les émissions de carbone, l’utilisation de l’eau, le nombre d’emplois créés, etc., mais le contexte est tout aussi déterminant.
Nous avons par exemple investi sur des sociétés qui donnent accès à l’électricité et à l’eau potable dans des pays en développement; ces sociétés ont un impact certain sur l’amélioration du bien-être des populations. Mais ces mêmes activités dans les pays développés ne doivent pas être considérées de la même façon car cet accès n’est pas un sujet. Quel que soit le chiffre estimé, il dépend du contexte. Quand nous essayons d’évaluer l’intentionnalité, nous nous heurtons à la même problématique. En Europe, le reporting et la transparence sont très bons, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays, en particulier dans les émergents. Certains pays ont fait des progrès; nous bénéficions d’une bonne transparence en termes de durabilité en Afrique du Sud par exemple ou au Brésil, mais ailleurs moins. Dans les marchés qui sont en retard sur ces sujets, lorsque nous identifions une société qui fait des efforts et possède une véritable politique RSE, elle constitue une pépite à nos yeux car cela ne lui est pas imposé par une réglementation locale; il s’agit du choix d’un entrepreneur ou d’actionnaires.
L’engagement est-il déterminant pour faire progresser les entreprises ?
La notion d’engagement nous tient particulièrement à cœur car elle permet de faire avancer les entreprises. Elle est consubstantielle à la notion d’impact. Par ailleurs, dans le cadre des sociétés des pays émergents, la notion d’investissement à impact est presque totalement inconnue. A plusieurs reprises, nous avons été les premiers à aborder ce sujet avec le management, alors que, pourtant, ces sociétés peuvent être spécialisées dans des secteurs à fort impact social ou environnemental. Nous avons par exemple engagé une discussion avec la société Direcional Engenharia au Brésil, qui entendait pour la première fois le terme impact, alors même que son activité est très largement dominée par les logements sociaux. Lors des conférences dédiées aux investisseurs, nous sommes parfois les seuls à poser des questions ayant trait à la durabilité, et souvent les seuls à vouloir y consacrer autant de temps. Pour toutes les sociétés que nous rencontrons, l’engagement constitue un volet important de notre démarche.
Mathieu Nègre
Portfolio Manager Emerging Market Impact Equities
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