Le Temps (16.01.2023) - Dans un monde devenu plus incertain, un nombre croissant de clients des banques privées envisagent de s’établir en dehors de leur pays d’origine, et ce phénomène a été exacerbé par les récentes tensions géopolitiques à l’échelle internationale.
Outre la nécessité pour les clients de se prémunir contre des risques ayant trait à leur intégrité physique ou économique, le souhait d’une relocalisation peut aussi être motivé, pour certains, par la poursuite d’une opportunité professionnelle, le développement de leurs activités, des aspects familiaux, ou la recherche d’un meilleur système de santé. Pour d’autres, la mobilité internationale constitue même désormais un véritable mode de vie.
Eviter les erreurs d’aiguillage
Nombre d’Etats en Europe, notamment Chypre, l’Espagne, l’Italie, Malte, le Portugal, la Grèce, ou encore les Emirats arabes unis, Israël, Singapour ou la Thaïlande, ont compris l’intérêt d’attirer des familles présentant une surface financière ou patrimoniale importante et proposent des dispositifs d’accueil particulièrement attrayants. Les possibilités offertes dans ce domaine peuvent se résumer en trois types de programme, chacun ayant ses propres conditions d’éligibilité: l’un octroie un droit d’entrée et de séjour (Golden Visa), un autre accorde une résidence administrative et fiscale par le biais d’un investissement (Residence by investment, RBI) et le dernier permet d’obtenir un passeport au travers d’un investissement, de l’acquisition d’un bien immobilier ou d’une gratification de charité (Citizenship by investment, CBI).
Quelle que soit l’attractivité du programme choisi, il faut garder à l’esprit que le passage d’une frontière doit être pris très au sérieux car il implique de quitter un champ juridique et fiscal pour un autre. La décision doit donc être précédée d’un travail d’analyse rigoureux. Cette étape consiste ainsi à évaluer les diverses options tant sur le plan juridique que fiscal, mais également à s’assurer que la solution retenue soit en parfaite adéquation avec les objectifs visés et les circonstances familiales. Il est cependant important de rappeler les limites d’un tel exercice. En effet, chaque programme et chaque juridiction étant spécifiques, il est primordial de définir des priorités afin d’éviter les erreurs d’aiguillage, ou de potentiels désagréments difficiles à résoudre à terme.
Lors d’une telle réflexion, un client aura tendance à se tourner vers son banquier privé, dont le rôle d’accompagnement est crucial, afin de veiller à la faisabilité du projet. Pour ce faire, il conviendra notamment de passer en revue le régime matrimonial, le plan successoral ainsi que les opportunités fiscales offertes par le pays d’accueil, et ce en étroite coopération avec les conseils externes locaux du client. A cet égard, la mobilisation des équipes d’ingénierie patrimoniale des banques privées est essentielle, le but étant de proposer une approche holistique de façon à guider le client vers un projet de redomiciliation optimal.
Soulignons ici que, contrairement aux idées reçues, la fiscalité est rarement l’élément qui doit s’imposer en haut de la liste des critères de réussite. La sécurité, la stabilité géopolitique, le système de santé, la langue, la localisation géographique et l’accès aux moyens de transport, le climat, le dispositif scolaire, le coût et la qualité de la vie sont autant de facteurs à considérer en priorité. Ensuite seulement viennent les règles fiscales et le système juridique.
Se ménager une issue de sortie
Mais franchir une frontière ne signifie pas forcément quitter son pays d’origine. Certains ne souhaitent pas tant s’établir à l’étranger que se ménager une issue de sortie au cas où, par exemple, la situation géopolitique se dégraderait dans leur pays. La possibilité de créer une double résidence, et ses conséquences fiscales, ou encore l’accès à l’immobilier sont des questions qui doivent être posées. Par ailleurs, l’intérêt de maintenir, ou pas, des avoirs hors du pays dans lequel l’on compte s’installer doit lui aussi être évalué. Ainsi, une famille choisissant de s’établir en Suisse, où il existe une adéquation entre cadre juridique, régime fiscal et confidentialité, aura intérêt à y localiser son patrimoine financier, ce qui ne va pas de soi dans le cas d’une installation dans d’autres pays, par exemple au Royaume-Uni, en Israël ou en Thaïlande.
La fortune de la clientèle internationale étant de plus en plus sophistiquée et répartie à travers la planète, la taille globale d’une banque, et donc sa présence sur différents marchés, sont ainsi devenues des variables clés. D’autant que le régulateur enjoint celle-ci de n’intervenir que dans les pays où elle dispose de compétences techniques, opérationnelles et juridiques adaptées. Pour les banques privées, l'accompagnement de clients toujours plus mobiles permet non seulement de renforcer leurs relations avec ces derniers, mais aussi, et surtout, de se projeter concrètement dans les futures étapes de leur vie et de les aider à préparer la transmission de leur patrimoine.
Cet exercice exige de développer une solide expertise, qui constitue aujourd’hui un enjeu de compétitivité majeur pour la place financière suisse. Servir de manière professionnelle des clients dans le contexte d’une redomiciliation implique – au-delà de compétences juridiques et fiscales appropriées – une adaptation des systèmes informatiques et des processus opérationnels. Ceci requiert donc des investissements substantiels, mais également de l’agilité, ce que peu d’acteurs peuvent réellement offrir.